Loi Dutreil, Bpifrance, French Tech : entre les années 2000 et aujourd’hui c’est un long chemin qu’a emprunté la France pour faire émerger les ‘’licornes’’. Tout le monde s’y est mis, les pouvoirs publics, les chercheurs, les investisseurs, les entrepreneurs eux-mêmes bien sûr. Il est maintenant temps que les premières intéressées mettent en valeur leurs succès et leurs responsabilités.
Aujourd’hui, les résultats sont en effet irréfutables et tangibles. Malgré la crise mondiale que traverse le secteur de la tech, l’écosystème français résiste bien : les entreprises de la French Tech ont créé 10 % des emplois au premier semestre 2023 et les startups seraient à l’origine d’1,1 million d’emplois en France selon la dernière étude de France Digitale.
Plus de 20 ans de maturation, de construction d’une industrie du private equity et de déploiement d’outils publics. Il faut du temps pour faire de belles entreprises, c’est le paradoxe : certaines entreprises de la Tech ont des croissances fulgurantes mais au niveau global il s’agit d’une course de fond, pas d’un sprint.
Avec son seuil du milliard de valorisation, on peut metre en doute la catégorie des licornes, il reste que c’est un indicateur comparable dans le temps. En 2019, Emmanuel Macron fixait l’objectif de 25 licornes d’ici à 2025. En 2022, ce chiffre était dépassé. Des voix se sont élevées pour expliquer que tout cela était artificiel, qu’il n’y avait pas de réelle création de valeur, pas d’emploi à la clé et que cela ne servait pas les territoires… L’intelligentsia parisienne faisait une overdose de Licorne.
Ces doutes étaient infondés. Arrivées à maturité, les licornes commencent à construire des usines, acheter plus gros qu’elles à l’étranger, licencier leur technologie pour prendre rapidement un marché global, etc.
Il faut du temps pour faire de belles entreprises et rien dans la licorne n’est artificiel. Vient alors une responsabilité nouvelle. A ce niveau de développement en effet, une organisation a toujours un impact sur la société. Au-delà d’une création de richesse qu’on a le droit d’interroger, les licornes changent nos vies : elles inventent, plus vite que les grandes pharma, les médicaments de demain ; elles désintermédient des systèmes financiers parfois trop fermés, elles réinventent le retail en ligne, nos modes de déplacement, permettent enfin à l’économie circulaire de se déployer, etc…
Toutes les licornes n’iront pas faire leur IPO sur Euronext ou au Nasdaq. Certaines mourront, seront rachetées, grandiront dans l’ombre de leur client. Mais toutes auront eu, indubitablement, un impact.
Ces entreprises ne sont pas loin de passer le cap de l’hyperscaling, de devenir de très gros groupes, il ne manque pas grand-chose. Une loi Pacte 3 qui viendrait terminer de libérer la croissance de cette typologie d’entreprises serait utile : plus de cash drain et d’épargne populaire vers les licornes (elles ont besoin de milliards et de milliards pour prendre les marchés mondiaux), des normes plus avisées, une commande publique éclairée et efficace réellement orientée vers les entreprises à fort potentiel, un foncier plus rapidement accessible, des pouvoirs publics qui chassent l’investisseur étranger en meute avec ses entreprises, etc.
Il faut alors que les licornes assument davantage leur rôle, car elles reçoivent beaucoup. Près de 20 ans de pratique en matière de dialogue avec les décideurs, de rapport aux parties prenantes et de partage de convictions m’ont permis d’identifier si ce n’est un rapport de causalité, au moins une corrélation certaine : les entreprises qui croissent le plus durablement sont celles qui n’ont pas limité leur communication à leurs intérêts immédiats mais ont expliqué, dès le début, la part d’intérêt général qu’elle servent.
Des exemples ? Doctolib met à disposition des outils pour faciliter la prise de rendez-vous et la gestion de la patientèle ? Oui, certes. Mais surtout, Doctolib lutte contre les déserts médicaux, facilite l’accès au soin et optimise le « macro-temps soignant » disponible. Payfit renforce la performance des PME, Blablacar réinvente les mobilités et agit sur l’empreinte écologique de nos transports, etc.
Il faut du temps pour faire de belles entreprises. La puissance institutionnelle d’une marque s’inscrit nécessairement dans ce temps long. Pour être perçues par les médias, la sphère publique, les relais d’opinions, les consommateurs et les citoyens comme davantage qu’une valorisation ou un objet de marketing gouvernemental, elles doivent prendre davantage part au débat public et expliquer toujours plus la part de bien commun qu’elles portent pour la société.
Antoine Boulay et Antoine Mathot, Associés-gérants de Bien Commun Advisory